de 10 000 » Sam 3 Oct 2009 06:38
"Il y a quelques années, des sociologues s’étaient penchés sur la manière de vivre des habitants du Grand Yoff, une des banlieues les plus déshéritées de Dakar. Ils établirent que les revenus d’une famille moyenne de douze personnes étaient sept fois supérieurs à leurs ressources officielles. Non que ces gens aient trouvé la formule miracle pour multiplier les billets de banques, mais ils savent augmenter l’effectivité des finances précaires, en en organisant la circulation intensive. Il est impossible de vivre en Afrique sans appartenir à une ethnie, un clan, une famille élargie, un cercle d’amis. A l’intérieur de chacun de ces réseaux, l’argent circule méthodiquement par un système précis, élaboré et impératif de cadeaux, dons, emprunts, remboursements, placements, droits à diverses tontines. Le fait que ces possibilités de tirage soient accumulées au sein de chaque famille permet à celle-ci d’avoir à tout moment accès à une somme d’argent sans commune mesure avec ses ressources officielles. Encore ces flux monétaires ne sont-ils qu’un aspect de "l’économie de la réciprocité", laquelle consiste aussi en échanges de services de réparation, entretien et installation, fabrication de chaussures et vêtements, préparation collective de repas, travail des métaux et d’ébénisterie, services de santé et d’éducation, sans oublier l’organisation de fêtes qui maintiennent la cohésion du groupe, toutes choses dans lesquelles l’argent ne joue aucun rôle. C’est la raison pour laquelle il est impossible de mesurer le "niveau de vie" de ces populations avec les critères et instruments de l’occident. Imaginons un instant que ce système soit transposable ici : un RMIste disposerait alors de 11000 francs par mois, ce qui certes ne résoudrait pas tous les problèmes, mais mettrait du beurre dans les épinards ! Sans compter toutes les choses dont il profiterait, que l’argent ne peut acheter. La question classique, combien d’argent me faudrait-il pour bien vivre, est mal posée. Qui vit complètement isolé, en état d’apesanteur sociale, n’aura jamais assez de fric pour combler sa misère existentielle. Les RMIstes ici ont bien sûr ce gros handicap, qu’ils ne peuvent s’appuyer sur aucun clan, aucune coutume qui seraient déjà là. Il nous faut partir de zéro. Mais nous avons tout de même cet avantage, que nos conditions de vie ne sont pas (encore) si dramatiques et rudes qu’en Afrique. Pour les Chômeurs Heureux s’ouvre ici un vaste champ expérimental, ce que nous nommons : la recherche de ressources obscures."