2.2.2 à l'évidence, en premier lieu, il faudrait abolir la propriété intellectuelle et son corollaire le secret industriel« Le Gouvernement provisoire, avant d'agir, avant de prendre aucune délibération, devait donc préalablement distinguer la question organique de la question exécutive, en autres termes, ce qui était de la compétence du pouvoir et ce qui n'en était pas. Puis, cette distinction faite, son unique devoir, son seul droit, était d'inviter les citoyens à produire eux-mêmes, par le plein exercice de leur liberté, les faits nouveaux sur lesquels lui, gouvernement, serait plus tard appelé à exercer, soit une surveillance, soit, au besoin, une direction.
(…)
La faute, la très grande faute du Gouvernement provisoire, ne fut pas de n'avoir su édifier, c'est de n'avoir pas su démolir.Ainsi, il fallait abroger les lois oppressives de la liberté individuelle, faire cesser le scandale des arrestations arbitraires, fixer les limites de la prévention…
On ne songea qu'à défendre les prérogatives de la magistrature, et la liberté des citoyens fut plus que jamais livrée à l'arbitraire des parquets. Il plaît à la haute police de convertir un restaurant en souricière; deux cents citoyens réunis pour dîner sont enlevés à leurs femmes et à leurs enfants, frappés, jetés en prison, accusés de complot, puis relâchés, après que le juge d'instruction, qui ne sait lui-même de quoi la police les accuse, s'est longuement convaincu qu’il n'existe contre eux aucune charge.
Il fallait désarmer le pouvoir, licencier la moitié de l'armée, abolir la conscription, organiser une landsturm, éloigner les troupes de la capitale, déclarer que le pouvoir exécutif ne pouvait, en aucun cas, et sous aucun prétexte, dissoudre et désarmer la garde nationale. — Au lieu de cela, on s'occupa de la formation de ces vingt-quatre bataillons de mobiles, dont on nous enseigna plus tard, en juin, l'utilité et le patriotisme.
Il fallait assurer la liberté de réunion, d'abord en abrogeant la loi de 1790 et toutes celles qui pouvaient prêter à l'équivoque; puis, en organisant les clubs autour des représentants du peuple, et les faisant entrer dans la vie parlementaire. L'organisation des sociétés populaires était le pivot de la démocratie, la pierre angulaire de l'ordre républicain. En place d'organisation, le Gouvernement provisoire n'eut à offrir aux clubs que la tolérance et l'espionnage, en attendant que l'indifférence publique et la réaction les fissent éteindre.
II fallait arracher les ongles et les dents au pouvoir, transporter la force publique du gouvernement aux citoyens, non seulement afin que le gouvernement ne pût rien entreprendre contre la liberté, mais encore afin d'arracher aux utopies gouvernementales leur dernière espérance. Le 16 avril, le 15 mai, n'ont-ils pas prouvé la puissance du pays contre les entreprises des minorités ? Or, il n'y aurait eu ni 16 avril, ni 15 mai, si le gouvernement, avec sa force irrésistible n'eût été comme une irrésistible tentation à l'impatience des démagogues.
Tout a été pris à contresens le lendemain de février. Ce qu'il n'appartenait pas au gouvernement d’entreprendre, on l'a voulu faire; et c'est pour cela qu'on a conservé le pouvoir tel qu'on l'avait repris à la monarchie de juillet, qu'on en a même augmenté la force. Ce que l'on devait faire, on ne l'a pas fait; et c'est pour cela que, dès le 17 mars, la Révolution était refoulée, au nom du pouvoir, par ceux-là mêmes qui en paraissaient être les plus énergiques représentants. Au lieu de rendre au peuple sa fécondité initiatrice par la subordination du pouvoir à ses volontés, on cherchait à résoudre, par le pouvoir, des problèmes sur lesquels le temps n'avait pas éclairé les masses ; pour assurer soi- disant la Révolution, on escamotait la liberté ! Rien ne s'offrait aux réformateurs de ce qui s'était vu aux grandes époques révolutionnaires : nulle impulsion d'en bas, nulle indication de l'opinion; pas un principe, pas une découverte qui eût reçu la sanction du peuple. Et ce peuple, ils alarmaient journellement sa raison par des décrets qu'ils condamnaient eux-mêmes. Ne pouvant les justifier par des principes, ils prétendaient les excuser, ces décrets, au nom de la nécessité! Ce n'était plus, comme la veille, l'antagonisme, c'était le charivari de la liberté et du pouvoir.
(...)
Il était réservé à notre époque de tenter, chose qui ne s'était jamais vue, une révolution par le pouvoir, et puis de la faire rejeter par la nation. Le socialisme existait et se propageait depuis dix-huit ans, sous la protection de la Charte, qui reconnaissait à tous les Français le droit de publier et faire imprimer leurs opinions.
Les démagogues de février eurent le secret, en traînant le socialisme au pouvoir, de soulever contre lui l'intolérance et de faire proscrire jusqu'aux idées. Ce sont eux qui, par ce fatal renversement des principes, firent éclater l'antagonisme entre la bourgeoisie et le peuple, antagonisme qui n'avait point paru dans les trois journées de 1848, non plus qu'en celles de 1830 ; qui ne ressortait point de l'idée révolutionnaire, et qui devait aboutir à la plus sanglante catastrophe, comme à la plus ridicule débâcle.
Pendant que le Gouvernement provisoire, dépourvu du génie des Révolutions, se séparait à la fois et de la bourgeoisie et du peuple, perdait les jours et les semaines en tâtonnements stériles, agitations et circulaires, un je ne sais quel socialisme gouvernemental enfiévrait les âmes, affectait la dictature, et, chose étonnante pour qui n'a pas étudié la mécanique de ces contradictions, donnait lui-même, contre sa propre théorie, le signal de la résistance. »
http://books.google.fr/books?id=2S8eAAA ... &q&f=false - p. 61-64