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Nouveau messagede le prince » Jeu 12 Nov 2009 10:47

Zanon / Fasinpat : L’usine sans patron


« Argentine, 2001. La crise financière provoque la colère d’une classe moyenne qui réclame son épargne en détruisant les guichets automatiques des banques. Un peu plus tard, lors des émeutes de décembre, quinze personnes sont tuées par balle. Les patrons qui voient leur horizon de profit s’effondrer ferment des usines souvent viables. C’est le cas de Luis Zanón, qui s’était fait construire une usine de céramique grâce à des subventions publiques au temps béni de la dictature (1976-1983). Il s’en va en laissant quelques 380 ouvriers à la rue qui occupent alors l’usine. Ils continuent à produire pour récupérer leurs salaires impayés. En remettant la production en marche, les ouvriers se rendent compte qu’ils n’ont besoin ni de patrons ni de cadres [...]

La coopérative FaSinPat (Fabrica sin patrones) est une usine autogérée de céramique située à Neuquén (200 000 hab.), dans la Patagonie argentine. Récupérée par ses travailleurs il y a sept ans, elle compte aujourd’hui 470 associés. Le 20 octobre 2008, elle a perdu son statut légal mais continue de lutter pour l’expropriation définitive. [...]

Travailler à Zanon, avant l’occupation, c’était comme travailler dans une grande entreprise pétrolière : les salaires étaient importants, mais les conditions de travail étaient déplorables. L’encadrement exerçait une forte pression sur les employés qui n’avaient pas le soutien du syndicat qui était à l’époque largement bureaucratique. Les conditions de travail se détérioraient avec le temps, même les soins médicaux étaient insuffisants pour les nombreux accidentés du travail. Dans ce contexte de travail et malgré une bureaucratie syndicale du côté du patronat, nous avons réussi à gagner, en 1998, un corps de délégués du personnel à caractère combatif en dehors de toute bureaucratie. Cette nouvelle représentation syndicale a produit un important affrontement avec le patronat, car les revendications visaient à améliorer les conditions de travail, provoquant, avec ces réclamations, la mise à pied de certains employés.

Mais le moment décisif a eu lieu en 2000, quand le SOECN, présent dans 4 usines, appelle à des élections. Le patronat de Zanon, par peur que les délégués choisis en 1998 emportent l’ensemble du syndicat, menace de licenciement les employés qui iront voter. Néanmoins, 95% des travailleurs de Zanon se présentent au vote et nos délégués emportent le syndicat des quatre usines, devenant ainsi une direction essentiellement combative.

En 2001, avec l’excuse de la crise, 100 employés sont licenciés. Le patronat réussit un accord avec le gouvernement, le « préventif de crise », par lequel il met en avant «une chute du chiffre d’affaires» de l’entreprise. Les délégués syndicaux exigent alors de consulter les fiches de revenus, ce qui leur avait été refusé, alors ils font une étude comptable de la production, en calculant la production faite par jour dans toutes les unités. Lors du procès, ils arrivent à démonter que loin de produire des pertes, la production apporte du profit malgré la crise. Le patron de Zanon est alors accusé d’avoir fait fuir les capitaux et condamné à un lock-out fiscal. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un patron est condamné pour ces faits ; cela reste pour le moins surprenant car c’est la justice bourgeoise qui nous donne raison d’une certaine façon !

A partir de là, nous nous installons devant la porte de l’usine, la population et des représentants des différents mouvements sociaux et des partis politiques se solidarisent avec notre lutte. Au terme de cinq mois, nous faisons une assemblée, qui a pour mot d’ordre : ou nous acceptons les misérables « plans travail » que distribue le gouvernement ou nous nous emparons de l’usine ! Alors, nous avons décidé d’y entrer , nous étions 80 travailleurs, nous avons allumé les fours et commencé à travailler.

[…] Nous demandons « l’expropriation sans payer » parce que l’usine est déjà payée avec l’argent reçu par le gouvernement à travers les créanciers.

Mais l’expropriation ne suffirait pas non plus, il faut aller ensuite vers l’étatisation parce qu’avec l’expropriation on a de l’assurance juridique mais des dettes financières. « Etatisation sous contrôle ouvrier », cela veut dire, nationaliser l’usine sans donner son contrôle au gouvernement. Nous avons besoin, en outre, de l’étatisation pour que l’Etat commercialise nos produits [?] et pour mettre de cette façon l’usine au service de la communauté, afin que l’Etat construise des logements dont la population a besoin.

[…] Zanon compte avec 460 employés qui travaillent dans les 20 secteurs de l’usine. Depuis le début, toutes les décisions sont prises par des assemblées ; chaque secteur choisit un coordinateur qui peut être révoqué n’importe quand par le même secteur. Les coordinateurs se réunissent une fois par semaine pour prendre les décisions les moins importantes, c’est lors des assemblées qui se discutent les points les plus importants. Tous les 30 jours, nous arrêtons la production et consacrons une journée complète pour décider ensemble de la production et de la politique. Ces derniers jours, les assemblées sont devenues une affaire de tous les jours, vu l’urgence de la lutte.

[…] Par rapport aux postes de travail, nous utilisons le « système de rotation » : celui qui tond la pelouse n’est pas directement concerné par la production comme le mécanicien de four, mais par la rotation, le mécanicien se retrouve des fois à tondre la pelouse. C’est une façon d’équilibrer les salaires. Les rotations se décident toujours démocratiquement, selon les vœux et les besoins des collègues. Ce fonctionnement a été fondamental, spécialement parce qu’il y a des secteurs qui ont une tendance naturelle à la bureaucratisation : comme l’administration ou le secteur commercial ou comptable. La rotation permet, en plus, l’apprentissage de différents postes, c’est un moyen de les rendre tous accessibles à tous, car la plupart de travailleurs, nous n’avions pas de formation comptable ou commerciale, personne n’était compétent pour la vente ou pour les démarches administratives. Une anecdote : il y a quelques jours, l’un de nos collègues nous a fait un topo sur le fonctionnement des finances à l’intérieur de l’usine, cela nous a fait réfléchir sur la satisfaction que produit le fait de voir un ouvrier maîtrisant le langage de l’économie ou de la finance, monopolisé auparavant par les patrons. C’est dans ces exemples-là que l’on voit que la gestion ouvrière donne l’opportunité de se développer en tant qu’êtres humains. En outre, nous ne sommes plus contraints à rester face à la même machine tout au long de nos vies - comme c’est le cas dans le système patronal

[…] En 2001, il y a eu une grande vague d’occupation d’usines par leurs travailleurs, 280 à peu près, mais elles ont toutes eu des destinées différentes. Nous avons fait auprès d’elles une tâche particulièrement politique, afin de parvenir à une coordination, vu l’isolement de la plupart dans leurs luttes. La coordination est très difficile, à cause de la distance géographique qui existe en Argentine, pourtant nous avons réussi une communication proche avec une trentaine de ces usines. Chaque fois qu’une usine entre en lutte, nous sommes présents pour l’aider et la soutenir en apportant notre expérience, mais dans la pratique, c’est très difficile, parce qu’une fois que nous les quittons, les camarades de ces usines restent complètement seuls.

[…] La plupart de conflits qui ont eu lieu ont été perdus, comme la plupart sont des luttes isolées : le gouvernement acquiert de la puissance devant elles et la répression policière est très forte.

Nous avons survécu grâce au rapport de force, nous ne sommes pas restés isolés comme beaucoup de mouvements d’occupation d’usines. Ce que nous avons fait c’est d’ouvrir l’éventail, nous nous sommes déplacés dans différents points du pays pour accompagner les luttes et nous avons insisté sur le fait que nous ne cherchons pas à nous approprier l’usine, qu’elle ne nous appartient pas, mais à la communauté. Dans cette perspective, nous donnons à peu près 1500m2 de carrelage mensuels pour les nécessités de la communauté, nous recevons grand nombre de courriers de la part de la population pour nous soumettre des demandes. Par exemple, nous avons construit une maison pour une famille dont les parents sont morts laissant huit enfants orphelins et à laquelle le gouvernement avait refusé son aide. Nous avons construit aussi une salle médicale pour une école maternelle, mais comme c’était nous qui l’avions fait le gouvernement n’a pas voulu leur envoyer du personnel médical. Nous avons aussi réparé des maisons brûlées, tous ces exemples montrent que le côté social a toujours été notre priorité. Cela a éveillé une grande sympathie envers nous de la part de la population, on nous demande même des fois des autographes quand on nous croise dans la rue avec nos maillots de céramistes, même à Buenos Aires.

[…] Il y en a beaucoup qui pensent que la lutte est une perte de temps, cette discussion est toujours présente, c’est pour cela que nous essayons d’amplifier l’éventail et de donner la possibilité à tous les collègues de prendre conscience de l’ampleur politique qui accompagne l’expérience de Zanon. Nous sommes surpris que notre lutte soit connue aussi ici en Europe, nous essayons de faire en sorte que tous nos collègues aient conscience de la dimension que notre lutte a atteinte. »
le prince
 

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