[le 11/12/09 - 13:16]
Je ne fais pas une fixation sur l’anonymat, il est partie intégrante de notre démarche (peut-être à tort). Et comme l’anonymat est généralement mal perçu, il semble logique d’essayer d’éclaircir la chose, parmi d’autres.
Ainsi, si nous revenons à la base de la démarche de work0ut, qui est non moins pratique que théorique, la question est : que ferez-vous (et donc que ferais-tu) quand vous recevrez des mails dont l’objet sera « chose publique » (du latin « res publica », d’où république ; et donc, de notre point de vue : république par en bas, selon une terminologie en usage de nos jours)
Que ferez-vous de ce mail « chose publique » (en provenance de quelqu’un que vous connaissez ou pas)
sachant qu’on suggère que c’est un moyen de renforcer la liberté d’expression et d’exercer notre indépendance d’esprit et de jugement que de le faire suivre, chacun de nous, à l’ensemble de nos relations, pour qu’elles fassent de même ;
sachant qu’on suggère encore d’assurer sa diffusion avant de savoir quel en est le contenu (cela revient à faire suivre un document joint).
Evidemment, cette démarche prend tout son sens si elle devient une pratique aussi spontanée que voter ou regarder le journal télévisé, et un peu plus assidue même, tant pour les émetteurs que pour les diffuseurs potentiels que nous sommes tous (et ne reste donc pas la lubie de quelques individus) – avec la restriction que tout le monde n’a pas accès à Internet, à domicile du moins ; mais celui qui reconnaît l’intérêt du procédé trouvera toujours le moyen de créer une boite mail, quitte à ne la consulter qu’une fois par semaine (au boulot par exemple, ce serait le comble de la subversion… pour commencer). Ce n’est pas un engagement individuel très pesant, mais ses conséquences pour la libre diffusion des opinions promettent d’être importantes. Et d’autant plus pour le sens critique que l’on ignorera qui est l’émetteur (qui, en général, ne sera pas le diffuseur/transmetteur, probablement connu lui).
Il est assez clair que dans un premier temps cela ne peut guère intéresser que ceux qui n’ont pas accès aux médias dominants ou qui les rejettent. Mais bon, il s’agit de fonder une alternative au système existant, il est donc assez logique que cela concerne d’abord des opinions minoritaires. Ce qui au total représente pas mal de mécontents, d’impatients et d’expectative ouverte, et permet d’envisager que cette façon de faire s’impose.
Mais prenons ATTAC pour exemple et admettons qu’ils aient une autre proposition que leur taxe sur les mouvements financiers. Même eux auraient tout intérêt, entre autres modes de communication, à présenter la chose anonymement, dans un format genre tractaffiche, qui permet une approche synthétique du sujet, mais correspond à 5-10 minutes d’attention soutenue, ce qui de nos jours n’est pas rien. Car, sinon, ils risquent de prêcher seulement des convaincus, bon nombre des autres se disant : « ATTAC, je connais la chanson, laisse tomber, même pas envie d’écouter ou de lire… »
C’est un exemple un peu tiré par les cheveux, mais c’est l’idée et elle vaut d’autant plus pour ceux qui auront encore moins accès aux médias de masse. Quant à ceux qui voudraient approfondir l’objet du mail, une recherche via quelques expressions clés du texte devrait permettre d’arriver à un site ; tout autre détour antidentitaire aussi bien – jusqu’au hasard objectif et autres coïncidences.
Arrivé là, l’exemple ne va plus de soit, car il est certain que s’agissant de questions économiques, ATTAC aurait tort de se priver d’exhiber un comité scientifique avec des éconimistes, de renom si possible. Toutefois, pour les questions ou projets véritablement publics, ou, peut-être, formulés de façon véritablement publique – c'est-à-dire qui concernent tout le monde et ne demandent pas de compétences particulières –, cela semble contradictoire de faire jouer la caution de spécialistes et de célébrités, comme toutes autres formes d’autorité : soit leurs arguments convainquent, soit non. Encore une fois, il est douteux que ce genre de concession intéresse ATTAC et Cie, mais, avec la dynamique des gens ordinaires, telle que suggérée ici, cela pourrait devenir un critère de bonne intelligence publique.
L’idée de taxe des flux financiers ne nous concerne pas directement, c’est une question de techniciens gestionnaires en vue de domestiquer la spéculation et de financer du service public d’Etat (ce qui nous concerne relativement) ; l’idée d’un revenu inconditionnel pour tout individu mis au monde, nous concerne tous directement, mais implique un changement profond, radical : un monde qui ne tourne plus autour du travail ; où l’on n’est pas obligé de travailler, mais où l’on consent librement à travailler parce que l’on sait que c’est nécessaire à la survie. Et c’est d’autant plus envisageable et pensable que beaucoup s’imaginent déjà travailler librement, parce qu’ils s’épanouissent dans leur milieu professionnel : qu’ils essaient de ne plus travailler pour bien estimer le prix de cette illusion. Néanmoins, cette illusion à l’avantage de renforcer un sens de la responsabilité assez largement acquis, quoique fondé négativement, sur la contrainte ; la fin de cette illusion étant le gage d’une responsabilité positive équivalente à la volonté individuelle de faire quelque chose de sa vie – volonté dont il n’y a pas de raison de douter, bien que la suspicion inhérente à la société de l’exploitation des ressources humaines laisse courir la rumeur contraire.
Notez enfin que depuis la proposition de base de diffusion autonome de la parole publique, chaque affinage dans le sens de la confrontation plus franche à la pensée est facultatif, fonction du positionnement individuel et donc, au total, des capacités réelles de fécondation démocratique des idées en germe qui traversent l’époque.
Cet optimisme loin d’être béat doit encore être tempéré par le détournement tous les jours plus large et profond du sens de la responsabilité par la pression occidentalisatrice – même s’il est vrai que Big Brother charge copieusement la barque, en bon quotidianniste qui fonde la peur à coup de faits divertissants : c’est le jeu ; c’est la guerre. Une guerre d’occupation mentale, où il est facile de balayer la moindre velléité de libération avec condescendance et précipitation – ce n’est pas le moindre talent du parti de la conservation, information en tête, que de rendre réel ce qu’il prétend vrai –, pour ne plus chercher le sens de l’humanité ailleurs que sous son nez, c'est-à-dire sous les projecteurs des médias dominants et insinuants lourdement.
La gazette a écrit:Heureusement, bientôt nous courtiserons via des CV anonymes. Au moins, nous serons égaux devant l’esclavage – à défaut d’obtenir jamais le droit au travail, cette plaisanterie macabre qui dure depuis 1848.
En fait je parle de l’esclavage du salariat (comme dans le tractaffiche Pourquoi pleurer). 1848 fait donc référence à l’insurrection, essentiellement ouvrière (dont un des mots d’ordre était le droit au travail), qui a débouché sur la seconde république (gouvernement dit ouvrier par des représentants bourgeois…) : l’abolition de l’esclavage est une des mesures prise par la suite et n’a donc aucun rapport avec mon propos qui cherchait juste à montrer que l’anonymat peut être utile. C’était un exemple, peu importe que ce projet de CV anonyme devienne réalité ou non.
Admin a écrit:Nous avions des identités bien avant que nous ayons pris l'habitude de les écrire ou bien si tu veux bien avant que les états, l'Etat soit organisé dans ses formes "modernes".
Sur ce point nous sommes d’accord. De même qu’il existe des processus démocratiques, dans le sens plein ou relatif, là où le mot n’existe pas et donc en dehors de périodes de références elles mêmes sujettes à caution (Grèce antique et monde moderne, pour faire court) ; de même l’Etat peut bien exister là où il n’est pas explicitement nommé ou formellement institutionnalisé : en tous cas sous la forme que nous refusons, à savoir le monopole hiérarchique et hypostasié de l’autorité. Ce n’est pas l’identité en soi que nous contestons, c’est le monopole de l’identification par l’Etat (indépendamment du fait qu’il soit aux mains d’un gouvernement de gauche ou de droite) et, par suite, les oppressions plus ou moins gracieusement maquillées et l’interdiction a priori du jeu avec les identités.
Nous considérons que le rôle de l’Etat est fondamentalement policier ; la fonction gestionnaire des personnels politiques n’en n’est qu’un aspect dérivé. Même ce qu’on appelle l’Etat Providence – la gestion de la solidarité et de l’assistance publique – est encore une forme de domination. Notre critique de l’Etat est indissociable de celle de la marchandise et de l’information dominante, dont il fait plutôt figure de larbin pour la basse besogne. La marchandise (comme raz de marée planétaire et intime), l’information dominante (en pointe) et l’Etat, étant les médiations dominantes de l’existence moderne, tant individuellement que collectivement.
Pour ce qui est de l’Etat, il nous semble être la brève et désormais périmée cristallisation historique du monopole du pouvoir dans une société s’organisant autour du besoin, et par suite du travail (ce qui est la perspective du capitalisme, du communisme, du fascisme et du réformisme, quelques épithètes on puisse leur accoler). Et au fond c’est ce que nous contestons : pas que le travail soit nécessaire, puisqu’il répond à la nécessité même de subvenir à nos besoins, mais que tout soit organisé autour du travail et par conséquent par ceux qui monopolise l’organisation du travail.
Admin a écrit:« l'appropriation démocratique de l'Etat »
pour nous cela signifie l’appropriation de l’Etat par le pouvoir des gens (et donc pas par de nouveaux représentants parlementaires), ce qui suggère plutôt sa dissolution dans la masse que son hypothétique destruction. C’est justement cette question qui nous semblait justifier que l’on évoque le devenir du monopole de la force armée (dernière prérogative indéniable de l’Etat) lorsque nous sondions le potentiel démocratique des assemblées autonomes (voir Pourquoi pleurer)
La réappropriation de l’Etat, épisode négligeable de la conquête de la maîtrise de l’humanité par elle-même, pourrait commencer, passer ou se préciser par la diffusion autonome de la parole publique. Pour les anxieux qui imaginent tout de suite une dictature pire que celle que nous subissons, il va sans dire que cette maîtrise de l’humanité par elle-même implique beaucoup de jeu. Mais peut-être n’est-ce pas pour les rassurer... un, deux, trois, soleil
Admin a écrit:Ta diatribe sur mes prétendues injonctions morales tu te la fabriques mon ami
« J'ai pas envie de passer du temps sur tes liens tant que je ne saurrai pas qui tu es ! », pour moi, cela est une injonction.
« des couilles Janus des couilles », ou auparavant « trouve le courage de te nommer comme je le fais. » et ça une injonction morale, puisqu’il s’agit de démontrer par là sa valeur individuelle. Tandis que pour nous c’est la valeur de l’écrit, des propositions qui priment...
tu dis « je suis la bouche de la Filpac-CGT », dans notre perspective, mon dernier exemple (à travers ta position de porte parole, ton cas), impliquait simplement qu’il aurait été plus judicieux de faire de la radio que de la télé. Mais cela indépendamment du contexte d’action syndicale où tu interviens (dans un climat de conflit surtout) et qui concerne principalement des gens que tu représentes et censés te connaître. J’avais bien précisé que c’est un exemple caricatural de l’influence que peut avoir l’image, l’apparence. Cela ne veut pas dire que je te considère comme une caricature ou un clown. Si c’était le cas, me donnerais-je la peine de te répondre ?
De fait, il faut essayer de replacer le propos de w0 dans son contexte, c'est-à-dire la prise à parti d’un système, en entier, du point de vue de l’individu et de son action immédiatement possible, et ne pas amalgamer au cas particulier de l’action dans une entreprise, voire très particulier d’une entreprise en crise.
Quant à moi, je réponds des propositions de w0. Mais puisque la loi intervient pour limiter la liberté d’expression, la question est : ces propositions tombent-elles sous le coup de la loi, et, au-delà de la loi officielle, de la loi officieuse qui est celle des préjugés et du prêt à penser ? Car, si je commence à comprendre, c’est bien cette dernière que tu as le plus à redouter.
Rien à craindre du côté de la loi officielle, je pense. Je disais un peu plus haut qu’il nous semblait légitime d’évoquer le devenir de la force armée, or, notre position est le prolongement et la réactualisation d’un texte, périmé par certains aspects, publié par un des principaux éditeurs français et que l’on trouve chez tous les libraires : « Il est juste de reconnaître la difficulté et l’immensité des tâches de la révolution qui veut établir et maintenir une société sans classes. Elle peut aisément commencer partout où des assemblées prolétariennes autonomes, ne reconnaissant en dehors d’elles aucune autorité ou propriété de quiconque, plaçant leur volonté au-dessus de toutes les lois et de toutes les spécialisations, aboliront la séparation des individus, l’économie marchande, l’Etat. »
Pour ce qui est de la loi officieuse, une rubrique « tribune libre » aurait suffit, où tu dégageais ta responsabilité de modérateur/administrateur du site : quant aux opinions exprimées, du moment qu’elles n’appelaient pas la censure légale que l’on exige d’un modérateur. Libre à toi ensuite d’y intervenir à visage découvert ou non (par rapport à ta situation et au contexte).
Mais revenons à nos moutons, car, la question cruciale, première, indépendamment même du reste de ce que raconte work0ut, est, que ferez-vous (et donc que ferais-tu) si vous recevez des mails dont l’objet est « chose publique » ?
ps : je disais en finir parce que je pensais que mon topo serait suffisant pour clore le chapitre anonymat ; et provisoirement, parce que c'était la fin de mon message, mais que probablement il restait des choses à dire (effectivement, la formulation pouvait prêter à confusion...)