de 10 000 » Mer 28 Oct 2009 06:55
L'art de l'entrevue relationnelle
Une entrevue relationnelle ne consiste pas à convaincre ou à harceler autour d'un enjeu ou d'une adhésion à une organisation. Nous devons écouter plutôt que parler, et poser des questions basées sur ce que nous entendons. Qu'est-ce que l'autre personne pense et ressent ? Qu'est-ce qui les motive ? Quelle est leur priorité numéro un ? Vos outils de base pour la rencontre sont vos yeux, vos oreilles, votre nez, votre instinct et votre intuition.
Des questions courtes sont la solution.
- Pourquoi dites-vous cela?
- Comment ça ?
- Qu'est ce que cela signifie pour vous ?
- Comment ces questions sont venues ?
Vous devez être près à interrompre avec des questions brèves et directes comme celles-ci, mais pas pour faire vos propres discours. Une fois que vous avez lancé un coup de sonde, taisez-vous et écoutez, et restez en alerte pour la question suivante. Le talent de l'entrevue relationnelle a quelque chose à voir avec ce mouvement de va et vient.
Dans les entrevues relationnelles, nous recherchons des intérêts, des talents et des contacts à travers le spectre des races, des classes, des religions et des politiques. Ceux qui les initient se préoccupent particulièrement des gens du « milieu modéré » du spectre politique, qui doivent être trouvés en grand nombre pour former le noyau d'une organisation oecuménique efficace. L'entrevue relationnelle est le point d'accès à la vie publique. Elle n'a jamais lieu simplement « pour faire connaissance » d'une autre personne. Les rencontres en tête à tête qui conduisent au développement d'une relation publique continue forment le noyau de l'action collective pour le bien commun.
L'entrevue relationnelle ne consiste pas en bavardage, comme lors des habituels échanges informels autour d'un café ou d'un verre. Dans les rencontres ordinaires, nous prenons les gens comme ils se présentent. Nous n'insistons pas. Nous ne creusons pas. Nous ne demandons pas pourquoi ou d'où vient telle opinion. Nous ne sondons pas telle idée. Nous ne soulevons pas de possibilités. Nous ne posons pas de questions qui demandent de l'imagination : « Bien, et si vous l'envisagiez de cette façon ? » « Comment vos parents auraient réagi ? » « Comment vous sentiriez-vous si vous étiez l'autre personne ? » Dans les conversations ordinaires, de tous les jours, nous ne montrons pas une curiosité ou un intérêt profonds, et nous ne nous attendons pas à ce que l'on montre de la curiosité ou de l'intérêt à notre égard. Ceux qui deviennent compétents pour mener des entrevues relationnelles publiques apprennent qu'ils doivent "y être" pendant qu'ils les font : intentionnels, concentrés et préparés à bousculer et à être bousculé en retour.
L'entrevue relationnelle n'est pas du voyeurisme. Ce n'est pas l'occasion de fouiner dans la vie privée d'une autre personne. La différence entre fouiner et sonder est importante. Quand les gens fouinent, ils montrent une curiosité excessive ; ils essaient de forcer l'autre personne à s'ouvrir. (p. 50) La curiosité devient une fin en elle-même, aléatoire. Un sondage est plus ciblé. C'est une tentative de trouver le centre de l'autre.
Dans une entrevue relationnelle, sonder révèle les soubassements de l'action ou de l'inaction de quelqu'un. Si un résident d'un quartier est mécontent des constructions abandonnées dans le secteur et qu'il a tenté de mobiliser les autres mais qu'il s'est arrêté net dans l'action, il est important de savoir pourquoi. Les raisons personnelles qui motivent l'action sont révélées par des histoires : un grand-père qui a immigré durant la Dépression pour fonder une famille en Amérique ; une mère qui a servi de modèle de courage et de volonté durant la détresse et la privation des temps de guerre ; un frère qui a mal tourné qui exerce une attraction négative à laquelle la personne résiste. Les histoires comme celles-ci ne restent pas à la surface pour être découvertes durant les bavardages habituels. Seuls les rencontres intentionnelles et concertées vont les porter à la lumière.
L'approche de l'entrevue relationnelle est sélective. A moins que je me fasse avoir, je n'ai d'entrevue relationnelle qu'avec des leaders. Et je remonte la chaîne alimentaire vers plus de pouvoir. Vous ne pouvez pas approcher le pouvoir sans accréditation.
[l'auteur rapporte une rencontre avec Desmond Tutu alors qu'il vient d'être élu archevêque, en 1986. Ce dernier est fâché que Peter Botha refuse de le rencontrer. Chambers lui fait alors remarquer qu'à la place de Botha il ferait de même, parce qu'en le reconnaissant il devrait reconnaître tous les autres noirs, ce que l'apartheid ne saurait permettre. En fait, précise-t-il, il aurait dû y avoir 10 000 noirs à l'extérieur de la cathédrale pendant la cérémonie, pour s'adresser politiquement à eux ensuite. Alors, Botha lui aurait peut-être accordé un entretien : les noirs présents dans la cathédrale ne faisant pas le poids]
L'archevêque Tutu et moi nous sommes quittés en bons termes, mais cette entrevue relationnelle fût une confrontation. Je l'avais remis en question sur le pouvoir, le courage et son incompréhension des intérêts de l'opposition.
Pourquoi avoir des entrevues relationnelles seulement avec des leaders ? D'abord, un leader est quelqu'un avec des relations qui peut rassembler ses partisans et ses partisanes. L'essentiel de l'entrevue relationnelle dans l'organisation oecuménique est de trouver des leaders et de les mettre en relation, pas de dupliquer des relations préexistantes ou de remplacer les leaders. En second lieu, les simples partisans auront tendances à déverser leurs problèmes sur vous, ce qui est usant. Les partisans intéressés seront invités aux assemblées et aux actions, (p. 51) et avec le temps l'opportunité leur sera donnée de devenir des leaders, mais vous ne pouvez pas construire une organisation d'organisations autour de simples partisans. Dans l'immobilier, le mantra est « acquisition, acquisition, acquisition ». Avec l'entrevue relationnelle, c'est « sélection, sélection, sélection ». Si vous êtes coincé avec un partisan, il y a un moyen facile de s'en sortir. Dites juste : « présentez-moi à votre leader ».
L'entrevue relationnelle n'est pas une recherche de ceux qui partagent nos croyances, classe, politique et autres opinions. Les idéologues de droite ou de gauche tendent à rechercher uniformité et certitude. La désaffection des politiques électorales par le vaste milieu modéré de la société américaine est pour une grande part une réaction à l'isolement et à l'étroitesse croissantes des progressistes excentriques et des conservateurs de droite. Ces deux groupes finissent par prêcher pour leur seule chapelle idéologique, utilisant leur propre langage, leur propre théologie bricolée et leur seul et unique agenda. Ceux deux extrêmes disent : « Si vous voulez vous joindre à nous, vous devez être comme nous - suivez la ligne du parti ». Aucun extrême n'envoie le message que son programme a quelque fluidité, que sa tonalité ou sa stratégie peut être altérée, que l'on attend des nouveaux venus qu'ils apportent quelque chose au programme du groupe. Aucun groupe n'organise vraiment, dans le sens où ce terme est utilisé dans ces pages. Ils font plutôt pression sur les gens au moyen de mailing, de campagnes de publicité télévisées, de controverses éditoriales [op-ed], de groupes de discussion ciblés [focus group], d'études de marché, avec un oeil toujours plus attentif sur les sondages d'opinion publique. Mais les sondages ne peuvent pas mesurer l'intensité et la passion des gens pour le changement, pas plus qu'ils peuvent les amener à de véritables relations.
Finalement, l'entrevue relationnelle n'est pas une technique ou un raccourci électronique, mais une forme d'art. Les entrevues relationnelles ne sont pas des enquêtes sociologiques pour réunir des données, ou un groupe de discussion ciblée de plus pour disséquer le public. En nette opposition avec le but de sondages d'opinion isolés et arbitraires, l'entrevue relationnelle nous permet de découvrir quelque chose du tout ou de l'esprit des autres.
- Qui sont-ils ?
- Qui sont leurs héros et leurs héroïnes ?
- Qui n'apprécient-ils pas ?
- De quoi rêvent-ils pour leur famille, leur congrégation ou leur quartier ?
- Qu'est-ce qu'ils appelleraient une vie bien vécue ?
- Peuvent-ils mobiliser leur institution ?
- Sont-ils ouverts à la vie et à l'organisation publiques ?
- Ont-ils le goût de l'action ?
Comme l'art, l'entrevue relationnelle a une certaine forme et requière certaines compétences. Mais les entrevues relationnelles doivent être utilisées avec souplesse et créativité par ceux qui initient les rencontres, plutôt qu'en suivant une méthode apprise par coeur de manière formalisée. (p.52) Ceux qui deviennent habilles dans l'art de l'entrevue relationnelle ont appris à utiliser tout leur être - le corps et l'esprit, la séduction, la compassion, l'astuce, l'humour et la colère - au cours de ces rencontres intenses et ciblées.
Pour résumer ces points, l'entrevue relationnelle :
- a lieu dans le but de développer une relation publique
- se concentre sur l'esprit et les valeurs de l'autre
- requière une mise au point intentionnelle qui va au-delà de la conversation ordinaire
- nécessite de sonder et de bousculer l'autre en profondeur
- demande une dose de vulnérabilité des deux côtés
- se pratique sélectivement, seulement avec des leaders
- jette un pont au-delà des barrières de race, de religion, de classe, de genre et de politique
- est une forme d'art qui requière un développement patient et l'usage de compétences particulières
Quand une bonne entrevue relationnelle a lieu, deux personnes entre en contact d'une manière qui transcende la discussion quotidienne ordinaire. Tous deux ont l'opportunité de s'arrêter et de réfléchir sur leur expérience personnelle concernant la tension entre le monde tel qu'il est et le monde tel qu'il devrait être. Et à cet instant, une nouvelle relation publique a pu naître, à travers laquelle tous deux augmenteront leur capacité d'être plus vrai par rapport au meilleur d'eux-mêmes, pour vivre plus efficacement et créativement entre les deux mondes. La plupart des tactiques pour l'action que j'ai élaborées durant les cinquante dernières années viennent pour une part de quelque chose que quelqu'un à dit durant une entrevue relationnelle.